La folle histoire de Covidliste
Le 30 mars dernier, j’ai lancé Covidliste depuis mon salon. En 10 semaines, nous avons réuni 150 bénévoles et notifié près d’un million de volontaires à la vaccination. Récit d’une folle histoire.
La naissance de Covidliste : quand la data science répond à l’urgence sanitaire
Le déséquilibre entre l’offre et la demande
Avant de créer Covidliste, j’ai passé les 5 dernières années dans les équipes Data Science d’Airbnb. J’ai aussi lancé en 2015 l’association Data For Good en me demandant comment les approches technologiques peuvent bénéficier à l’intérêt général.
La technologie permet aux plateformes en ligne d’être toujours plus proches des besoins de leurs utilisateurs. C’est mon ancien manager, Peter, qui décrit ces plateformes comme des “magasins de bonbons pour économistes”. Puisque tout y est mesurable, les données sont comme une lampe torche pour éclairer les déséquilibres entre l’offre et la demande.
Souvent les déséquilibres s’illustrent par des anecdotes. Chez Airbnb ce pouvait être “cette destination est complète pour ce type d’appartement” ou “les prix sont élevés pour ce type de logement”. Dans le cas des vaccins, ce sont des amis — Aimé et Guelfo — qui me mettent la puce à l’oreille le 23 mars : un centre à Paris aurait jeté des doses alors que les volontaires ne trouvent pas de vaccins.
J’en parle à un ami médecin et pneumologue Antoine Roux le 24 mars. Nous avions déjà collaboré sur le projet Transplant. J’en parle également à mes amis Mathieu et Guillaume. Mathieu est de la partie. Game on.
L’étincelle prend sur Twitter et Covidliste décolle
Le dimanche 28 mars, j’ai un peu de temps et code une première version. Le 30 au soir, je poste sur Twitter un premier message pour annoncer la création de Covidliste. Le bouche à oreille se met en marche et l’application se diffuse comme une traînée de poudre. 100 inscrits le lendemain, 50 000 quelques jours plus tard, un demi-million en 10 jours.
Les premiers bénévoles rejoignent Covidliste dans la foulée de son lancement
L’emballement autour de Covidliste est fulgurant : demandes de journalistes, questions des volontaires, trolls Twitter, tout arrive en même temps. La traction est intense.
Pourtant, le projet est encore fragile et peut capoter à tout moment. J’ouvre un espace de discussion sur la plateforme Slack et j’invite par un nouveau tweet ceux qui le souhaitent à nous rejoindre. Près d’une centaine de bénévoles s’inscrivent spontanément et parmi eux Gaelle, Coline, Assen, Germain, Matthieu, Maxence ou Florian qui vont avoir un rôle structurant sur la suite du projet (voir ce beau portrait sur France Inter ou les témoignages recueillis par M le Magazine du Monde).
Nous allons avoir besoin de renfort sur d’autres postes clés et nous avons besoin de personnes de confiance. On fait appel aux talents de notre réseau et nous rejoignent notamment en quelques jours Sébastien (tech), Laetitia (Data Science), Bertrand (Opérations), Juliette (Affaires Publiques), Emilie (Relations Publiques), Marc (recrutement et financement), Romain (automatisation, documentation), Clément (acquisition) ou Antoine (légal).
Les choses sérieuses commencent : il faut prouver que Covidliste, “ça marche !”
La priorité : protéger les données et la vie privée des utilisateurs
Notre première priorité est la sécurité des données et le respect de la vie privée. Mathieu crée une nouvelle application Rails, puis avec Sébastien, ils migrent notre base de données sur les serveurs les plus sécurisés de notre partenaire Scalingo, hébergés en France. Les données sont chiffrées avant leur insertion dans la base de données et nous ouvrons rapidement le code source de Covidliste pour qu’il puisse être audité.
Nous irons même jusqu’à ne plus stocker ni nom, prénom ou adresse exacte dans la base de données de Covidliste. Quand bien même un hacker volerait notre base, celle-ci n’aurait pas de valeur.
Grâce à Raphaël, le cabinet McDermott Will & Emery, référence dans le secteur, nous accompagne pro bono. Avec Florian (notre Data Protection Officer ou DPO) et Antoine, tout est revu et mis au carré. Nous créons l’association Hostolab, personne morale qui portera le projet Covidliste, puis nous mettons en place tous les documents nécessaires pour protéger les utilisateurs de Covidliste : mentions légales, politique de traitement des données, procédés de suppression des données. Tout ça, encore une fois, en un temps record.
Le 2 avril, une première personne vaccinée grâce à Covidliste
Revenons quelques jours en arrière. Nous sommes au tout début de l’aventure Covidliste et nous avons alors un grand nombre de volontaires, mais pas de centre de vaccination pour s’en emparer.
Je reçois le 2 avril en DM Twitter, un message de Ingrid (le prénom est modifié). Ingrid est soignante dans un centre parisien et me dit qu’elle a sur les bras des centaines de doses qui ne trouvent pas preneur. Je tombe des nues. Je fais une requête rapide, il y a des milliers de volontaires éligibles inscrits sur Covidliste autour de son centre…
On monte un rapide prototype SMS avec Maxence : notre petit script permet d’alerter des volontaires et de dévoiler l’adresse du centre lorsque ceux-ci répondront. Nous faisons un test, et ça marche ! 15 notifiés Pfizer, 37 notifiés AZ. 5 minutes plus tard, 7 répondent “OK” pour le Pfizer et 5 pour l’AstraZeneca. Notre premier vacciné s’appelle Mohand, il a 72 ans et habite à Pantin. Il vient de gagner un mois sur son rendez-vous initial.
Faire grandir Covidliste : la bataille pour les centres de vaccination
Résoudre le problème de l’offre
Tout l’enjeu est maintenant que l’usage se diffuse au sein des centres de vaccination. Sans dose, pas de Covidliste. Bertrand, Gaëlle et Clément mettent en place une solide équipe dédiée aux centres de vaccination : une partie se consacre à l’acquisition, une autre à la validation et l’accompagnement des centres inscrits.
Le 6 avril, nous faisons notre première collaboration avec le Stade de France : après avoir écoulé 30 doses le mercredi, ce sont 400 Pfizer / Moderna qui partent en quelques minutes le lendemain. A la fin de cette deuxième semaine nous aurons vacciné 1000 personnes (contre 50 la semaine précédente).
Croissance du nombre de partenaires et évolutions de la plateforme
Le mot se diffuse et les pharmacies et cabinets médicaux seront les premiers à rejoindre le service. Covidliste leur est particulièrement utile pour écouler des doses AstraZeneca et gagner du temps dans la gestion de leur liste d’attente.
L’équipe tech développe plusieurs outils : gestion automatisée de campagne pour les centres, interface d’administration, analyse de performance des campagnes. Toutes ces évolutions permettent aux bénévoles de mieux accompagner les centres qui s’inscrivent sur Covidliste pour leur permettre de maximiser l’impact des campagnes de notifications.
Interpeller les décideurs et rendre Covidliste incontournable
Nous sommes d’ores et déjà sollicités par de nombreux médias, mais nous cherchons rapidement à diffuser notre message-clé : un appel aux centres de vaccination pour qu’ils s’inscrivent sur la plateforme. Emilie écrit donc notre premier communiqué de presse et nous sommes repris dans la plupart des médias nationaux et régionaux.
Sur les réseaux sociaux, Assen et Juliette mettent en place une petite mécanique efficace notifiant chacun des responsables politiques et ARS dès qu’un centre rejoint la plateforme. L’équipe communication ira même jusqu’à instaurer une concurrence entre les départements par rapport aux nombres de centres partenaires de Covidliste sur leur territoire :
Covidliste, une véritable ONG numérique
Recruter et canaliser un vivier de bénévoles
Pour mieux nous organiser, nous établissons des pôles : chaque pôle dispose d’un canal Slack et d’un responsable. Romain met en place une documentation (merci Slite !) permettant à chaque bénévole d’être intégré facilement.
Une fois les bases de notre organisation posées, nous accélérons côté recrutement : Marc poste un message sur LinkedIn et invite les volontaires à s’inscrire via un formulaire. Il réalise avec Myriam et Marie-Laure des centaines d’entretiens et invite ensuite les volontaires à se présenter et à rejoindre leurs équipes. En tout ce seront près de 300 bénévoles qui seront accueillis, et la plupart d’entre nous ne nous sommes jamais vus !
Il est aussi important que l’information circule : en tant que chef d’orchestre (ou plutôt “maître mayonnaise”), je réalise une courte vidéo Loom, une à deux fois par semaine pour donner le contexte et fixer un cap.
Une centaine de mains construisent ensemble
Côté produit, de nombreuses décisions sont à prendre. Grâce à Laurie, Lucile, Damien, Pauline les fonctionnalités à développer sont listées au sein des Github issues. Nous organisons un rendez-vous produit avec les équipes design et tech pour trancher les décisions en suspens.
Le code étant open source, nous recevons des pull requests de différents développeurs (~50 auront contribué au projet) et pouvons repérer ainsi plusieurs développeurs de talent et les inviter sur Slack : nous rejoignent par exemple Navid, Guillaume, Adrien ou encore Ardjo dans l’équipe design.
L’équipe vetting se chargera quant à elle de valider les centres de vaccination inscrits. Un travail titanesque quand on sait qu’un seul centre peut prendre jusqu’à 15 minutes de conversation et que près de 4000 centres ont été validés. Cela a été possible grâce à une équipe formidable d’une quarantaine de bénévoles comme Virginie, Marion, Laurent, Amalia, Elisabeth, Hélène, Florence, Kévin, François ou encore Lou qui détient le record avec 1400 centres validés à elle seule!
Des données pour piloter
Puisque “sans données il n’y a que des opinions”, Laetitia et Antoine de l’équipe data science vont permettre à toute l’équipe Covidliste de prioriser leurs efforts : devons-nous lancer cette fonctionnalité ? Où devons-nous concentrer les efforts d’acquisition de centres ? Qu’est-ce qui fait qu’une campagne fonctionne ou échoue ?
Gérer un service support rapidement en surchauffe
Une fois la phase de croissance de Covidliste entamée, nous commençons à recevoir de nombreux emails sur nos différents points de contact : les informations demandées par les volontaires à la vaccination, les questions de nos centres partenaires ou encore les sollicitations des médias et journalistes.
Afin de permettre à plusieurs bénévoles de répondre à ces demandes simultanément, nous mettons en place Front, un outil qui permet de gérer de manière collaborative plusieurs boîtes email (comme le raconte ce billet rédigé par Front à propos de Covidliste).
L’équipe support emmenée par Matthieu passe de débuts chargés, avec près de 700 emails reçus par jour, à moins de 50 en quelques semaines. Une prouesse rendue possible notamment grâce à Germain qui répond aux emails… puis code quasi-immédiatement les solutions aux problèmes remontés !
Covidliste est victime de son succès… et a besoin d’argent pour continuer à exister
La facture salée des SMS Covidliste
Au fur et à mesure que Covidliste est adopté par un grand nombre de centres de vaccination, un nouveau problème survient : nous dépensons trop d’argent. Notre système initial envoyait un SMS pour chaque notification. Un SMS coûte 0,05€ et nous en envoyons près de 100 000 par semaine.
En quelques semaines, nos cartes bleues personnelles ont déjà été prélevées d’environ 15 000€. Nous ne pouvons pas continuer ainsi !
Diminuer les coûts générés par Covidliste
Pour essayer d’équilibrer le budget de Covidliste, notre premier axe est de diminuer les coûts. Mathieu met au point un nouvel algorithme de notification via email et sans temps de réponse minimum. Ce sera “premier arrivé, premier servi”.
Pour notifier les utilisateurs, l’avantage de l’email est que son coût marginal est quasi nul (merci SendinBlue) mais son inconvénient est sa délivrabilité : est-ce que ce sera aussi efficace qu’un sms ? On teste cette version dans notre premier A/B test et la réponse est oui ! On divise par 10 le coût en augmentant notre taux de remplissage constant. Sacrée optimisation.
Solliciter les dons pour renflouer Covidliste
Après avoir travaillé sur la réduction de nos coûts, nous devons nous attaquer aux recettes de Covidliste. Notre service est gratuit, et notre initiative est à but non lucratif : nous décidons de lancer une campagne de financement participatif.
Marc prend contact l’équipe d’Ulule qui nous conseille de lancer rapidement et de tourner une vidéo d’appel aux dons. Éric de l’agence Adesias, nous rejoint le mardi:
- “Quel budget avez-vous ?”
- “0”
- “Ah et pour quel délai ?”
- “On lance après demain”
- “…”
En moins d’un mois, 1098 contributeurs particuliers, entreprises, la fondation de France et le ministère des Solidarités et la Santé nous permettront de dépasser 300% de notre objectif initial.
Les citoyens, les entreprises et l’Etat : tous mobilisés pour faire de Covidliste une réussite
Covidliste, une initiative citoyenne et indépendante, réalisée en travaillant de concert avec l’Etat
Dès la première semaine de Covidliste, nous sommes approchés par des membres de l’équipe vaccination Covid-19 au sein de la Direction Générale de la Santé (DGS). Nous avons des échanges réguliers.
Pour que les autorités gouvernementales puissent “certifier” Covidliste, un prérequis est de valider la qualité et la sécurité de la plateforme : une fois ceci fait par un audit de l’Agence Numérique en Santé (ANS), une communication est envoyée aux Agences Régionales de Santé (ARS), approuvant Covidliste comme une solution de gestion des listes d’attente auprès des centres.
Nous intégrons par ailleurs la fonctionnalité Pro Santé Connect (merci Germain), qui permet à un professionnel de santé de valider instantanément son identité en connectant sa carte e-CPS. Cela nous permet d’accélérer considérablement la validation de l’identité des centres. L’intégration par Covidliste de l’API d’identification des professionnels de santé est une bonne illustration d’un commun numérique dont les citoyens peuvent s’emparer pour développer des outils utiles à tous.
Un soutien essentiel apporté par les acteurs privés
Nous sommes par ailleurs aidés par des acteurs privés qui mettent à disposition gratuitement ou à moindre coût leurs services. 23 entreprises qui nous fournissent un accès à leur plateforme technologique, qui mettent à profit leur expertise pour nous conseiller ou qui simplement permettent à leurs employés d’être mis à la disposition de Covidliste sur leur temps de travail. Nous leur devons beaucoup !
L’avenir de Covidliste ? Hostolab : technologie et santé
Covidliste est un projet éphémère qui tournera tant qu’il sera utile à l’effort vaccinal. Ce que je retiens de cette aventure, c’est l’énergie, la capacité d’organisation rapide de citoyens déterminés à résoudre un problème de terrain.
Créer des outils utiles à la santé, c’est la mission de l’association Hostolab que nous avons créée pour porter le projet Covidliste et qui on l’espère, portera d’autres projets citoyens, simples, ouverts et utiles à tous.
Yallah!
Merci à Jeanne, Assen et Ardjo pour leurs retours et relecture. Merci du fond du coeur aux 310 bénévoles, nos partenaires et donateurs sans qui cette aventure n’aurait pas été possible ❤️
